Définir ce qui rend signifiant The Last Temptation of Christ revient sans doute à évaluer la part d’intention cinématographique inscrite dans l’esthétique de l’Actor’s studio ; la dernière réplique, « It is accomplished », est suivie d’images en surimpression d’une pellicule de film qui brûle, se consume après l’accomplissement : d’où l’on comprend que c’est le film qui devait s’accomplir, le surpassement de la tentation étant le film lui-même. Comment le film accomplit-il ce surpassement de la tentation, et d’ailleurs de quelle tentation s’agit-il ? Si c’est la dernière, comme dit le titre, le film excède pourtant les limites de cette dernière séquence, longue et circonstanciée, auquel The Devil’s Advocate plus tard reprend la valeur de virtualité cette fois en y ciblant le cœur et l’ensemble du film ; mais ici, le film est bien excédentaire par rapport à cette seule séquence que semble désigner son titre : il est une préparation lente, longue de la tentation. Le film pris dans son entier est une mise en condition de sa séquence finale. Ainsi le titre n’a tout de même pas tort, qui semble isoler et n’indique en fait qu’en sacrifice au film entier une séquence de son contenu. En un sens, c’est le film lui-même qui accomplit l’acte d’être tenté, et qui surpasse cet acte. C’est en comprenant le film comme un film tenté que l’on peut comprendre la portée de la tentation, son intensité. En somme, le film se donne l’ambition d’être le contraire d’une démonstration, il accepte d’être tenté. Encore faut-il savoir par quoi. C’est un film, que guette un film ? Que pourrait tenter un film ? Filmer ? Être un film ? Mais c’est ce qu’il est, il n’y peut rien. Il est joué, il est monté, on y parle, on y raconte. Il est un film. Il n’est pas parfait, il n’est pas la vérité. Il n’a pas de raison d’être la vérité, il ne la cherche pas, il n’est pas tenté par la vérité. Il se connaît comme film, il sait qu’on y parle anglais, il sait que c’est Willem Dafoe et que Ponce Pilate est David Bowie, il sait la musique qu’il utilise, il sait la finesse américaine des dialogues et des jeux de lumière ; il ne compte pas cacher tout cela, parce que c’est tout cela son film. Il n’y a pas plus de Judas en Harvey Keitel que de New Yorkais en terre sainte, la concordance des temps n’y est pas ; on est un peu comme Paul criant sa conversion sur le chemin de Damas, mais on comprend que ce n’est pas honteux, qu’il n’y a pas eu de ratage pour autant, et que ce mauvais Paul-là, de la tentation, il est en fait le danger que le film, lui, a réussi à écarter. Il a fallu le montrer tel qu’il ne devrait jamais avoir la tentation d’apparaître, au milieu de ruines grondantes et infernales, hurlant avec assurance son récit, pour que le film par contrepoint donne à voir ses propres artifices, ses propres récits. Car le film donne à voir avec insistance, il a le temps de s'attarder sur les plaies rouvertes, sur le cœur sorti des entrailles, sur le corps entier de Willem Dafoe magistralement décharné au fur et à mesure, et tout cela qui certes ne donne donc pas la vérité mais un récit, tout cela tient tout de même à faire voir une vérité dans son récit. Une vérité qui n’a pas besoin des complexes de la forme pour s’exprimer sur un certain autre point, comme indépendant des rouages factices de l’œuvre d’art, imprégnant plus essentiellement la pellicule que son mensonge technique. Cut the crap, dit-on déjà assez souvent dans les années quatre-vingts. Pas besoin d’insister sur la baliverne, il y a une autre vérité à chercher. Mais elle n’est pas autre, en un sens. Elle se met à jour dans la correspondance des époques, dans la transposition réussie du film. Dans l’érotisation, dans l’éclectisme du langage et dans l’utilisation de la lumière se jouent sans doute les plus importantes réussites de transposition, si l’on considère la transposition comme une mise en disponibilité visuelle d’une époque sur une autre. Dans l’érotisation parce qu’il est tentant de sexualiser Jésus ; dans le parler Actor’s studio des répliques parce qu’il est tentant de ne pas se spécialiser en philologie, et dans l’éclairage parce qu’il faut tenter au cinéma l’exploration de lumières impossibles, irréelles et divines.
jeudi 23 avril 2009
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